Quand Jennifer Harvey a annoncé à sa petite fille blanche que les dirigeants des États-Unis étaient nombreux à avoir «fait de mauvaises choses», l’enfant de 7 ans a ouvert de grands yeux. «Comme qui et qu’ont-ils fait?», a t-elle demandé, intriguée.
«Et bien, tu te souviens quand tu courais partout pour rendre hommage à George Washington? George Washington est toujours présenté comme un militant pour la liberté. Mais lui-même possédait des esclaves noirs.»
Elle était horrifiée, raconte la professeure de religion dans une université de l’Iowa, aux États-Unis, confirmant ainsi ses craintes de mère: l’éducation qu’elle reçoit dans le système scolaire public américain n’adopte qu’une seule vision de l’histoire.
Sociologues à 5 ans
Cette discussion mère-fille, inspirée par une information entendue à la radio, sert d’introduction à l’article de Jennifer Harvey publié sur le site du New York Times.
«Parmi les nombreux dangers que pose la présidence de Donald Trump, l’un des plus grands est le profond dégât qu’elle peut causer sur la perception qu'ont les enfants des races, des genres et de n’importe quel type de différences», affirme Jennifer Harvey.
Vous voulez savoir comment se compose la société? Reformulez la question pour votre enfant, il vous répondra sans doute avec honnêteté ce qu’il a perçu de la société occidentale selon qu'il soit une fille ou un garçon, blanc ou noir. Les enfants sont incroyablement perméables à leur environnement sociétal. C’est d’ailleurs pour cette raison précise que les résultats du fameux «test de la poupée noire» sur les enfants noirs américains sont aussi édifiants —tous associent la poupée noire à un adjectif péjoratif.
Les enfants intériorisent très tôt les perceptions racistes des autres et d’eux-mêmes. Dès 5 ans, ils peuvent facilement associer un statut social à différents groupes raciaux car ils sont en permanence exposés à des stéréotypes: à l’école, à la télévision ou même chez eux. «Ces choses sont déjà puissantes en temps normal. Dans le climat politique actuel, c’est comme si ces effets étaient sous stéroïdes», métaphorise l’auteure.
Discours problématiques
Plusieurs études ont par ailleurs révélé que les discours sur l’égalité ne sont pas efficaces.
«De nos jours, il est d’autant plus urgent que les parents qui relaient des messages tels que “nous sommes tous égaux” ou “nous sommes tous les mêmes sous notre peau” dans l’espoir d’apprendre à leurs enfants des valeurs d’inclusion et d’égalité changent de méthode, préconise Jennifer Harvey. Et soyons honnêtes, c’est les parents blancs d’enfants blancs, comme moi-même, qui se reposent sur ses stratégies sincères mais inefficaces.»
Effectivement, il y a un risque que l’enfant devienne ensuite inapte à reconnaître le racisme en tant que tel. Il pourrait plus tard, comme beaucoup de personnes blanches, décrédibiliser l’expérience raciste de personnes non-blanches.
«Les conséquences sont comparables à celles de respirer de l’air pollué. Ne pas réaliser que l’air est pollué ne veut pas dire qu’il ne l’est pas, explique Jennifer Harvey. Les enfants blancs sont exposés au racisme quotidiennement. Si nous, parents, ne le montrons pas du doigt, si nous ne leur montrons pas comment il fonctionne et ne leur enseignons pas pourquoi les stéréotypes sont faux, les enfants sont susceptibles d’accepter les discours racistes. Quand ils voient de l’inégalité raciale –quand les docteurs ou les professeurs qu’ils fréquentent sont tous blancs, et qu’il y a peu d’élèves noirs dans les classes accélérées, par exemple–, ils ne soupçonneront pas que c’est parce qu’ils vivent dans une société raciste. Mais ils penseront que c’est de la faute des non-blancs s’ils échouent.»
Les meilleures méthodes sont celles des concernés
Des études américaines montrent que les parents noirs et d’origine hispanique sont deux à cinq fois plus aptes à enseigner explicitement le concept racial à leurs enfants que des parents blancs. Et ce à un âge précoce, afin qu’ils puissent mieux contrer les discours négatifs et développer un solide sens de l’identité.
Les parents d'enfants non-blancs ont longtemps imaginé le moment où ils aborderaient ce sujet avec leurs enfants. Ce qui leur permet de mieux appréhender la façon de leur faire prendre conscience des douloureuses réalités raciales occidentales, tout en faisant en sorte d'entretenir leur amour-propre et leur résilience.
«C’est toujours risqué de dire à d’autres personnes comment élever leurs enfants et je ne veux pas prétendre que je suis une mère parfaite. Par dessus tout, nos enfants sont tous différents et il y a plein de différentes façons d’aborder le sujet racial avec les enfants. Mais peu importe notre méthode, nous avons besoin d’en parler maintenant plus que jamais», conclut l’auteure.
Slate