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Lettre à un ami américain qui a voté pour Donald Trump

Publié par MaRichesse.Com sur 12 Novembre 2016, 15:16pm

Catégories : #TRUMP, #FAITSDIVERS, #ETATS-UNIS

Lettre à un ami américain qui a voté pour Donald Trump

Cher ami qui as voté pour que Donald Trump devienne le président des États-Unis,

Triste et épuisée dans une chambre d’hôtel outre-atlantique, je me demande comment tu te sentais ce matin, toi, en te réveillant.

 

Est-ce que la victoire de ton candidat t’a rendu survolté? Heureux? Est-ce que tu t’es fait un café, que tu t’es installé bien confortablement et que tu as pensé: «Bien joué, l'Amérique»? Est-ce que tu étais ravi d’avoir choisi le chemin qui allait engager ton pays sur la voie de... de quoi? De la grandeur? As-tu songé à ce que ce mot signifie pour toi et à ce que le slogan utilisé comme principal argument électoral par ton candidat–«rendre sa grandeur à l’Amérique»–signifiait pour d’autres? Surtout la partie «rendre»? Pour les Amérindiens, qui ont été spoliés, tués, parqués de force dans des réserves dans l’Amérique d’autrefois, celle qui avait tant de «grandeur»? Pour les noirs, descendants d’anciens esclaves, exploités par les blancs afin de construire la fortune d’Américains blancs et uniquement celles d’Américains blancs–dis-moi, à quelle époque, historiquement, l’Amérique a-t-elle fait preuve de grandeur pour ce groupe? Quand les blancs les traitaient, eux et leurs descendants, comme du bétail, puis comme des citoyens de seconde zone, lorsqu’ils les lynchaient et faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour empêcher la création d’écoles ou de quartiers mixtes? Ou quand la violence policière contre les noirs a déclenché une spirale de violence qui engendre toujours plus de morts, toujours plus de vies gâchées, dans une guerre qui ne dit pas son nom? Est-ce que tu t’es réveillé convaincu d’avoir pris une décision qui allait permettre de panser ces blessures?

Quand je me suis réveillée, j’ai commencé par regarder mon téléphone et j’ai hésité à éteindre le mode avion. Je m’étais couchée sans rien savoir du résultat des élections, pleine d’appréhension, terrorisée à l’idée de me réveiller dans un monde différent de celui dans lequel je m’étais endormie. J’ai reculé de nouveau et je me suis accordé une heure de plus, à faire comme si le monde pouvait encore tourner rond même lorsque j’aurais reconnecté mon téléphone à internet et que j’aurais vu le résultat des élections.

Je m’étais trompée.

J’ai pris comme un coup de poing dans le ventre en voyant les premiers messages arriver. Ceux d’amis, qui suivaient les élections pendant la nuit et m’envoyaient des infos à mesure. Je n’ai regardé que leurs derniers messages. Je savais que c’était les seuls que j’avais besoin de voir pour savoir ce qui était arrivé. «Je ne comprends pas ce qui se passe», disait l’un. Et un autre, de mon petit ami qui savait à quel point ces élections m’avaient angoissée: «Je suis vraiment désolé. J’aimerais être là pour te serrer dans mes bras.» J’ai fermé les yeux et j’ai dû refouler mes larmes. Je me sentais engourdie. Mais je ressentais aussi un truc qui me faisait enrager: je me sentais trahie.

J’ai tenté de mettre des mots sur cette sensation. Un peu plus tard dans la matinée, au cours d’une discussion informelle au milieu d’une réunion de travail, j’ai dit à un Américain qui était là: «Ce résultat a un goût de trahison.» Il m’a regardée, puis en retenant ses larmes, il a baissé la tête et m’a répondu: «Oui, c’est exactement ce que je ressens moi aussi.» Pourquoi une trahison? Pourquoi pas simplement de la désillusion ou de la tristesse?

Pour moi, c’est très clair.

C’est une chose de savoir que tout un tas de gens ont voté pour ce type. Suffisamment de gens pour lui donner le pouvoir et l’accès aux codes nucléaires de votre pays. C’est une chose de se rendre compte que les gens font confiance à un gars qui n’a pas la moindre expérience politique, qui n’a jamais montré le moindre engagement pour une autre cause que celle de son enrichissement personnel et qui ne manifeste pas le moindre intérêt ni d’ailleurs ne comprend rien aux principes de base de la démocratie –par exemple que la majorité est censée protéger les droits des minorité, et non les en priver.

C’en est une tout autre de prendre conscience que ce sont des gens comme toi qui ont fait ce choix. Que ce sont des gens comme toi qui ont voté pour le type qui s’est moqué et a tourné en ridicule une personne handicapée pendant un de ses meetings. Un type pour qui la seule manière de gérer ceux qui ne sont pas d’accord avec lui consiste à les intimider et à les menacer. Un homme adulte qui se conduit comme un étudiant lourdingue, qui injurie les femmes, les ridiculise, leur reproche honteusement leur apparence physique, tente de les rabaisser à chaque fois que l’une d’entre elles le critique. Un homme qui a agressé des femmes. Un homme qu’on peut entendre, sur un enregistrement, se vanter d’avoir agressé des femmes.

Tu as voulu que cet homme devienne ton président. Tu as décidé que ce type de comportement était acceptable de la part d’un homme à la tête de ton pays.Voilà ce que dit ton choix: «Je trouve qu’on peut absolument faire ce genre de choses aux femmes et occuper une très haute fonction.» Et ça, mon vieil ami, pour moi c’est une trahison. Parce qu’un jour, tu m’as dit que le premier type qui harcèlerait ta sœur, tu lui «collerais la tête dans le mur».

Parce qu’un jour tu m’as dit de signaler le nom du gars, à la douane, qui m’avait demandé si j’avais «trouvé le moyen de me taper un citoyen américain» quand mon petit ami de l’époque, qui avait un passeport américain, et moi étions arrivés aux États-Unis et avions dû faire la queue dans deux files différentes à l’aéroport. Le type de la douane m’avait regardée comme si j’étais de la merde. Comme si j’étais une criminelle.

À une époque, je pouvais te dire ce que ça fait de se trouver dans ce genre de situation. Ce que ça fait de devoir sourire en subissant toute cette merde qu’on vous déverse dessus quand vous êtes une femme parce que vous êtes une femme, et que non seulement il faut sourire, mais aussi faire en sorte d’apaiser les egos des mâles. Pour minimiser le bruit et les engueulades. Et parfois pour éviter les coups, au sens propre.

Récemment, j’ai écrit pour Slate un court article sur un déplacement à Paris, dans lequel je mentionne deux incidents de harcèlement de rue, dont l’un avait été si désagréable que j’avais même eu peur pour ma sécurité sur le moment. Quand il a été publié, le directeur du magazine pour lequel je l’avais écrit m’a téléphoné. Il m’a dit qu’il l'avait trouvé intéressant, même s’il n’était pas d’accord avec tout. Et puis il a ajouté que la partie sur le harcèlement l’avait choqué, en particulier ma façon si décontractée de l’évoquer (ce n’était pas le sujet principal de l’article).

C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte à quel point ce genre de situation était devenue, et est encore, normale pour moi. Que je me suis habituée à être interpelée dans la rue, rabaissée, scrutée et évaluée en fonction de la taille de mes seins ou de mes fesses ou de la partie de mon corps au menu du bon plaisir sexuel masculin de la semaine.

Parfois, je m’extrais temporairement de cette idée que c’est ça, la vie normale. J’ai vécu un de ces sursauts il y a deux semaines. Je traversais une gare quand un panneau dans un kiosque à journaux a attiré mon regard. C’était une publicité pour un nouveau magazine allemand, réalisé par et sur des gens de droite. Le fondateur de ce magazine se déchaîne régulièrement contre les migrations, l’islam, le féminisme et la théorie des genres. Je n’ai rien lu de ce qu’il a pu écrire sur le sexisme ordinaire ou les agressions sexuelles envers les femmes. Je n’en ai pas eu besoin. Il m’a agressée quand j’avais une vingtaine d’années. À l’époque, je n’en ai jamais parlé publiquement de peur que personne ne me croie ou que ce type, qui avait un réseau bien plus conséquent que moi, ne traîne ma réputation dans la boue.

J’avais remisé le souvenir de cet événement au fond d’un tiroir mental bien verrouillé. Il s’est rouvert d’un coup quand j’ai vu la photo et le nom. Et ce qui m’est aussi revenu, c’est qu’au moment où c’est arrivé, en public et heureusement pendant quelques secondes seulement, mes yeux se sont écarquillés sous le choc et que j’ai regardé autour de moi, à la recherche de quelqu’un qui verrait ce qui était en train de se passer, quelqu’un qui pourrait venir à mon secours. Mes yeux ont croisé ceux d’une jeune femme, plus jeune que moi. Je n’oublierai jamais comment elle m’a regardée. Elle était aussi choquée que moi. Et toutes les deux nous sommes restées là, pétrifiées, impuissantes.

Souviens-toi: je suis allemande, je ne suis pas handicapée, je suis cisgenre, je suis blanche. Si le fait de bien remplir toutes ces bizarres petites cases «identitaires» que le type pour qui tu as voté semble trouver si importantes et normales ne m’a pas empêché de me faire agresser, est-ce que tu peux imaginer la vie des femmes ou des trans qui ne les remplissent PAS?

Aujourd’hui je ressens de nouveau cette souffrance et cette impuissance. Sauf que c’est encore pire. Ce jour a pris la forme d’une déclaration politique selon laquelle on peut très bien traiter les femmes de façon atroce et s’en tirer sans encombre. Qu’on peut les attraper par n’importe quelle partie de leur corps, comme des animaux, et être président quand même. Qu’on peut les déshumaniser et être président quand même.

Il est dérangeant à un tout autre niveau de penser que cette déclaration de volonté politique a également été faite par des femmes. Mais ce qui me fait le plus mal, c’est que des gens comme toi les ont rejointes. Des hommes en qui je pensais pouvoir avoir confiance. Des hommes dont je pensais qu’ils valaient mieux que ça.

Et je t’en prie, ne me fais pas le coup du choix entre la peste et le choléra. Si tu le penses vraiment, alors nous avons deux définitions très différentes du choléra. Oui, Hillary Clinton peut avoir ses faiblesses, elle a même dû commettre des erreurs dans sa vie. Non, ses mails ne font pas d’elle une criminelle. Mais tu ne veux même pas croire le FBI quand il en fait la déclaration publiquement.

Elle a consacré des dizaines d’années de sa vie et toute sa carrière à se préparer à ce poste. Elle a fait le travail qu’il fallait faire. Elle ne s’est pas contentée d’apparaître couverte d’autobronzant et de se mettre à crier et à maltraiter son rival. Elle n’a pas géré sa campagne comme une émission de télé-réalité en alimentant la zone sinistrée du journalisme et l’irresponsable machine à fric que sont les chaînes d’info en continu. Pendant cette infernale année de campagne, elle a gardé son calme. Elle a serré les dents, mais elle est allée de l’avant. Lorsqu’elle a été attaquée pendant les débats, elle n’a pas répondu par des brutalités. Lorsqu’elle a été injuriée, elle ne s’est pas mise à talonner son adversaire de manière menaçante lorsque c’était son tour à lui de répondre aux questions. Elle a fait ce que font les gens bien. Elle a défendu la diversité et l’égalité des droits. Mais ça n’a pas suffi à lui faire remporter les élections. Pire encore: ça lui a même coûté les élections. Parce que mardi, tu as fait ce choix-là.

Je suis convaincue que c’était un très mauvais choix. Je suis convaincue que c’était un choix qui a conduit le monde dans une situation pire qu’avant en engendrant de la violence en cours de route. Je suis convaincue que tu as laissé parler la haine, et aussi ton privilège de blanc et ta peur de le perdre. Mais ce qui m’ennuie le plus, c’est que c’est un choix qui me pousse à me demander si j’ai jamais vu en toi celui que tu étais vraiment. Parce que les choix d’un homme découlent de ses convictions.

Il y a eu une époque où nous pouvions discuter d’un sujet sur lequel nous étions en désaccord–comme le contrôle des armes à feu par exemple–et où, sans partager l’opinion de l’autre, nous pouvions comprendre son point de vue. Et puis nous essayions de bâtir des ponts entre nous, au-dessus de ces divergences. Pour moi, c’est là l’essence même de l’action politique productive et pleine de sens. Pas se crier dessus, mais chercher un moyen terme. Au moins un qui ne finisse pas en guerre. Tu m’as prouvé il y a très longtemps que tu étais capable de bâtir ce genre de ponts. Mardi, tu les as brûlés.

J’aimerais qu’il y ait quelque chose de positif ou de porteur d’espoir à dire pour finir cette lettre. Je me sens pleine d’amertume et j’ai l’impression que c’est un tel cliché, pour une femme trentenaire, de se sentir amère. Ton nouveau président trouverait sûrement des qualificatifs très imagés à me jeter à la figure.

J’espère que je n’aurai jamais l’occasion de le vérifier.

Mon ami, je te souhaite de bien dormir ce soir. Quand tu te réveilleras, pour moi, rien ne se sera arrangé. Aucune blessure n’aura guéri. Aucun traumatisme ne sera réparé. La seule chose plus claire sera la lumière à laquelle je te vois et je vois les choix que tu as faits, qui t’affectent toi et le monde qui t’entoure. La mauvaise nouvelle, c’est que cette lumière vient de l’incendie du pont qui nous unissait et que cette élection est en train de réduire en cendres.

Bonne continuation,

Juliane Slate

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