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A un mariage près, la Silicon Valley aurait été russe

Publié par MaRichesse.Com sur 2 Septembre 2016, 03:21am

Catégories : #INSOLITE

A un mariage près, la Silicon Valley aurait été russe

Il est assez rare que l’amour et la géopolitique fassent bon ménage. En Russie pourtant, tout le monde connaît une singulière romance mêlant grands sentiments et conquête stratégique: l’histoire de Nikolaï Rezanov et Conchita Arguello. Conchita est la fille du gouverneur espagnol de San Francisco, un tout petit hameau perdu sur la côte Ouest du Pacifique. Elle s’ennuie ferme et rêve du grand monde. Or voilà qu’arrive un bel officier russe, Nikolaï, de 30 ans son aîné. Qui tombe aussitôt amoureux de la belle autant que des perspectives économiques qu’offre ce pays de cocagne appelé Californie.

Nous sommes en 1806: la région est presque intouchée par les puissances étrangères: quelques villages et missions au sud, dont El Pueblo de Nuestra Señora la Reina de Los Angeles, peuplé à l’époque de 11 familles… Au nord, une poignée d’aventuriers barbus chassent le phoque et la loutre, mènent la vie dure aux natifs aléoutes et se font parfois chasser par les plus farouches Tlingit du sud de l’Alaska.

Amour, trappeurs et conquêtes impériales dans le Nouveau Monde: étonnant que Hollywood ne se soit pas emparé de ce sujet joliment conté par Owen Matthews dans son livre «Nikolaï Rezanov, le rêve d’une Amérique russe». Une biographie qui braque les projecteurs sur les fantasmes et l’abandon programmé de la colonisation russe sur sol américain.

La route vers l’est

En Russie, ce rêve d’Amérique n’était pas une simple lubie. C’est la suite assez logique, sur le long terme, d’une conquête de l’Est qui a débuté au XVIe siècle dans une Moscovie tout juste libérée de la férule tatare. Avec la prise de Kazan en 1552, Ivan le Terrible ouvre la porte d’un gigantesque territoire aussi inexploré à cette date que le Nouveau Monde: la Sibérie. Et si l’on n’y trouve pas (encore!) de métaux précieux, en revanche la Sibérie regorge de zibelines, martres, castors et loups dont la peau était d’une telle valeur qu’on l’appelait or doux. «La fourrure de Sibérie a fait d’une principauté mineure, perdue à la lisière de l’Europe, une grande puissance», écrit Owen Matthews. Sans cela, Saint-Pétersbourg serait peut-être restée un marais infesté de moustiques.

Les cosaques – à l’origine des hommes ayant fui le servage – ont été les acteurs principaux de cette conquête de la Sibérie. Ces «pirates» du tsar n’ont pas manqué de chasser ces coûteuses peaux jusqu’à l’extermination et ont continué leur route vers l’est à l’affût de nouvelles ressources. Avec le temps, d’autres sont venus peupler ces terres, aventuriers, vieux-croyants et plus tard bannis, dissidents, zeks enfin, travailleurs chinois aujourd’hui.

Mais la Sibérie avait une fin. Au XVIIIe siècle, depuis le Kamtchatka, Vitus Béring repère les îles aléoutiennes et les côtes de l’Alaska. Et ce n’est que cinquante ans plus tard, sous Catherine II, que débute la colonisation de «l’Amérique russe» en Alaska, sous l’impulsion d’un ancien trappeur d’Irkoutsk devenu nabab sibérien: Grigori Chelikhov. Fondateur de la Compagnie russe d’Amérique, Chelikhov est tombé aux oubliettes de l’histoire car, n’étant pas de souche noble, il était soupçonné d’agir par cupidité et non pour la gloire du tsar.
 

«Dépravés et alcooliques»

A l’époque où, de l’autre côté du continent, les 13 colonies déclarent leur indépendance face à l’Angleterre, les colonies russes d’Amérique luttent pour leur survie: «Des bicoques misérables, sans la moindre bougie et avec à peine de quoi manger et s’abriter», déplorait l’archimandrite Iossif à son arrivée, alors qu’on lui avait vendu le Pérou. Quant aux colons, ce n’était pas la fine fleur de la société. «La plupart des hommes qui viennent ici sont dépravés, alcooliques, violents et corrompus. Dès qu’ils retournent à Okhotsk (sur la côte russe), ils dépensent en quelques semaines ce qu’ils ont gagné en quatre ans. Puis ils repartent en Amérique.» Pour Owen Matthews, l’économie de confiscation dans les colonies russes d’Amérique offre un contraste saisissant avec l’économie libre de petits exploitants agricoles sur la côte est des Etats-Unis, et explique en partie son échec.

Rezanov, justement, nobliau de Cour, propulsé patron ad interim de la Compagnie russe d’Amérique par son mariage avec la fille de Chelikhov, a de grandes idées pour les colonies d’outre-Pacifique. Il imagine une flotte commerciale russe puissante, à l’instar de l’East India Company, qui échangerait avec l’Inde, la Chine et le Japon. Peaux du Grand Nord, baleines du sud, produits manufacturés: d’énormes perspectives commerciales s’ouvrent, avec la déliquescence prévisible de l’empire espagnol.

Mais il était peut-être plus à l’aise le nez dans les cartes à Saint-Pétersbourg. A peine remis de la mort de sa jeune épouse, Rezanov est envoyé contre son gré au Japon pour y ouvrir des relations diplomatiques. Il échoue complètement: le Japon des shoguns ne souhaite pas ouvrir le pays aux étrangers, ce que seuls les Américains parviendront à faire à coups de canon en 1853. Après des mois d’attente dans la baie de Nagasaki, Rezanov devient irascible au point de transformer sa mission en suicide diplomatique. Plus tard, il ira jusqu’à déclarer personnellement la guerre au Japon, achevant de ruiner sa réputation auprès du tsar.
 

«Jamais je ne vous reverrai»

Essayant de se racheter, Rezanov se rend ensuite dans les colonies d’Amérique, puis vers le sud dans l’espoir d’échanger des fourrures avec les Espagnols contre du blé et du maïs. C’est à San Francisco qu’il fait la connaissance de la fameuse Conchita. Bien plus à l’aise avec les Espagnols, Rezanov emballe tout le monde: la belle, qui veut se marier avec lui, sa famille qui finit par en accepter l’idée et les moines locaux ravis de faire de la contrebande avec le Russe. Le seul problème, c’est la mixité du mariage: seul le pape peut trancher! Rezanov promet alors de revenir sitôt qu’il aura résolu le problème.

Un leurre? On ne le saura jamais, car il est mort sur le chemin du retour, d’une possible pneumonie, en 1807. Conchita, elle, l’a attendu des années durant, jusqu’à ce qu’elle apprenne sa mort. Après avoir éconduit tous les prétendants possibles, elle a pris le voile jusqu’à son décès en 1857. «Jamais je ne vous reverrai, jamais je ne vous oublierai», susurrent les amoureux à l’heure du départ fatidique, dans un opéra rock nommé «Junona i Avos», succès énorme dans l’URSS des années 1980.

L’Alaska a été vendu aux Etats-Unis en 1867, par une Russie défaite en Crimée, qui n’avait plus les moyens de défendre les lointaines côtes du Pacifique Nord. Malchance symptomatique de cette aventure, trente ans plus tard on découvrait un gisement d’or record dans la rivière Klondike, entraînant une ruée vers l’or. Rezanov a-t-il été un visionnaire incompris, comme l’affirme Matthews? Il reste en tout cas l’un des plus célèbres amoureux transis du monde russe.

A voir: Owen Matthews, «Nikolaï Rezanov, le rêve d’une Amérique russe», Ed. Noir sur Blanc, 442 p.

 


«La Russie a manqué son heure»

Pour l’historien André Liebich, l’aventure russe en Californie aurait peut-être réussi un siècle plus tard

Le Temps: Le projet de Nikolaï Rezanov – faire de la Californie un nœud commercial vers l’Inde et la Chine – était-il visionnaire?

Oui, mais le timing était très mauvais. Au début du XIXe siècle, la Russie n’est pas encore un empire affirmé. Elle a connu son apogée après le Congrès de Vienne en 1815 jusqu’à sa défaite en Crimée. C’est à ce moment qu’elle s’est officiellement tournée vers le Pacifique, et vers 1900, alors qu’allait s’achever la ligne du Transsibérien, elle aurait été prête à consolider son rêve américain. Sauf qu’entre-temps, ses concurrents avaient avancé leurs pions! A ce moment, la côte Pacifique n’était plus une terre à saisir. Et les Américains, dès 1823 avec la doctrine Monroe, ont montré les muscles à l’égard des puissances européennes mais aussi de la Russie en affirmant que le continent américain n’était plus à coloniser.

Le modèle confiscatoire des colonies russes n’était-il pas condamné à l’échec face au dynamisme des Anglo-Américains?

Le modèle russe n’avait rien de spécial, il était représentatif du modèle colonial de l’époque. Les coureurs des bois du Manitoba (province de l’actuel Canada) ou les Américains lors de la conquête de l’Ouest ont vécu aussi sur un tel modèle. Par ailleurs, ils se sont montrés tout aussi féroces que les Russes avec les peuples autochtones.

Que reste-t-il de la Russie d’Amérique?

Quelques noms, comme Fort Ross («Fort Russie»), le poste le plus méridional de la Russie d’Amérique, où une chapelle a été reconstruite à l’identique. Et l’Eglise orthodoxe, qui reste bien implantée en Alaska, notamment auprès des personnes d’origine autochtone. 

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