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Dans cent ans, les historiens diront que le Brexit était inévitable

Publié par MaRichesse.Com sur 26 Juin 2016, 06:01am

Catégories : #EUROPE

Dans cent ans, les historiens diront que le Brexit était inévitable

En votant en majorité «Leave», les Britanniques n'ont fait qu'interpréter une histoire qui les a vus régulièrement prendre leurs distances du continent ou tenter de le maintenir divisé.

Le fait que le Royaume-Uni –Angleterre et Pays de Galles en tête– ait clairement voté cette semaine en faveur d’un départ de l'Union européenne est un choc planétaire. Les marchés, manifestement surpris, sont pris de panique; les éditorialistes sont sous le choc.

Mais si nous observons cet épisode sur la longue durée, le Brexit n’a rien d’étonnant; les futurs historiens pourraient bien le considérer comme inévitable. Comme elle l’a déjà fait à maintes reprises dans le passé, la Grande-Bretagne va devoir renégocier une nouvelle relation avec ses voisins les plus proches et avec le reste du monde. Et comme cela a déjà été de nombreuses fois le cas par le passé, cela entraînera de nombreuses divisions internes et des conflits potentiellement pénibles.

Deux histoires intimement mêlées

La Grande-Bretagne est la seule grande île tempérée au monde à être située à moins de 30 kilomètres d’un continent. Voilà le matériau brut de son histoire, caractérisée par des relations mouvantes entre l’île, le continent et le monde au-delà des mers.

Au cours des 1.400 années documentées de l’histoire de la Grande-Bretagne –les trois quarts de son histoire– elle a très souvent fait partie d’un ensemble européen plus vaste: l’Empire romain, le royaume scandinave du roi Knut, la Normandie de Guillaume le Conquérant ou l’Empire angevin des Plantagenêts (qui comprenait la moitié de la France actuelle). Sa langue, son architecture, ses arts et son patrimoine génétique sont européens, et son fonctionnement politique aussi: la Grande Charte s’est inspirée des modèles européens et le mot même de Parliament vient du parlement français. Le roi le plus charismatique de l’histoire anglaise, le très shakespearien Henri V, s’était proclamé roi de France. Ni lui ni ses sujets ne se considéraient comme étrangers au monde chrétien européen.

 

L’histoire de la Grande-Bretagne et du reste de l’Europe sont intimement mêlées, du Moyen-Âge à la Renaissance et jusqu’à la période des Grandes découvertes. Son fonctionnement politique a été transformé par l’accession aux trônes d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande de Guillaume d’Orange, souverain de Hollande, devenu Guillaume III d’Angleterre en 1689. Jusqu’à l’avènement de la reine Victoria en 1837 –qui, parce que femme, fut exclue de la succession au trône de Hanovre–, la Grande-Bretagne était liée, par ses monarques, à la Hollande puis à l’Allemagne et joua un rôle important, et souvent sanglant, dans les luttes des puissances continentales. C’est également durant ces périodes que deux changements majeurs se produisirent qui allaient transformer, de manière permanente, la relation entre la Grande-Bretagne et l’Europe.

Le premier à lieu au début du XVe siècle, lorsque l’Angleterre est chassée de ses terres françaises à la suite d’un sursaut français provoqué, dit la légende, par les visions d’une fille de fermier, Jeanne d’Arc; l’Angleterre développe alors une attitude défensive à l’égard du continent. Avec la montée en puissance d’une succession de superpuissances européennes –l’Espagne au XVIe siècle, la France au XVIIe et au XVIIIe siècles, l’Allemagne au XIXe siècle et la Russie au XXe siècle– la politique de l’Angleterre puis de la Grande-Bretagne vise le plus souvent à organiser et souvent à diriger les États européens qui s’opposent à ces superpuissances continentales. A l’inverse de la France ou de l’Allemagne, la Grande-Bretagne n’a jamais élaboré de plan visant à placer l’Europe sous sa domination; à l’inverse, pour parler grossièrement, le Royaume-Uni a généralement œuvré pour maintenir les divisions de l’Europe afin qu’elle ne soit pas en mesure de menacer la sécurité et le commerce des îles britanniques. Une partie de cette suspicion à l’égard de ce que Margaret Thatcher avait appelé «un super-État européen» demeure à l’égard de l’Union Européenne.

L’histoire de la Grande-Bretagne au XXe siècle ayant été, moins négative et moins terribleque celle de la plupart des pays d’Europe, elle ne partage pas cet idéal d’une Europe fédérale comme garant contre les cauchemars du passé –les conquêtes, les dictatures et les guerres civiles. Au contraire, la plupart des Britanniques tiennent le fédéralisme européen pour une nouvelle menace continentale et les gouvernements de tous bords ont tenté –non sans succès– de ralentir son processus d’intégration et de bloquer son potentiel militaire. Un récent article publié dans les colonnes de Foreign Policy décrivait cette attitude comme «une forme subtile de sabotage» ayant laissé l’UE à l’état de «coquille vide».

Autre changement historique majeur: à partir du XVIIe siècle, les îles britanniques deviennent bien plus internationales dans leurs contacts, leur commerce et leur culture que la plupart des autres pays européens. Des liens maritimes, commerciaux et finalement politiques se développement de plus en plus loin sur la surface du globe, et transforment cette île en «nation atlantique» et finalement en centre d’un réseau mondial de commerce, de culture et de politique connu aujourd’hui sous le nom d’Anglosphère. Un débat clair entre ceux qui souhaitent être impliqués dans affaires du continent et les partisans de ce que l’on a appelé la «politique océanique» fondée sur le commerce maritime agite par intermittence la Grande-Bretagne depuis trois siècles. Les partisans actuels de la politique océanique sont-ils nostalgiques d’un passé révolu? Où tiennent-ils compte des réalités du présent et du futur?

Un euroscepticisme très ancré

Même les personnes connaissant le mieux l’histoire peuvent être affectés, parfois de manière inconsciente, par des traditions et des attitudes ancrées dans leurs cultures –ce que l’historien James Joll appelle les «postulats implicites» qui guident nos actions. Comparez les postulats de la Grande-Bretagne actuelle avec deux de la plupart des autres pays européens: dans un récent sondage, le Pew Research Center a montré que l’UE avait de nombreux contempteurs en Allemagne, en Espagne et en Hollande, comme en Grande-Bretagne, et bien plus encore en France et en Grèce. La différence, c’est que la Grande-Bretagne est la seule nation à avoir débattu de la question d’une éventuelle sécession et qu’elle a même voté en faveur de son départ.

L’histoire internationale du pays et sa suspicion à l’égard de la domination continentale ont poussé une majorité de Britanniques à considérer qu’elle telle décision, pourtant risquée, était souhaitable et possible. Pourtant, sans le catalyseur du référendum offert par David Cameron, la question de l’UE aurait pu rester dans l’ombre. Cameron a critiqué les eurosceptiques conservateurs et leur propension à «taper sur l’Europe», sous-entendant que personne ne l’écoutait. Des éditorialistes de renom partaient du principe que la question de l’appartenance à l’UE n’intéressait qu’une poignée d’irréductibles. Il se sont pour le moins trompés, et le mot est faible. C’est précisément parce que la sortie de l’UE est soudainement devenue une véritable possibilité –et d’une manière différente qu’en Espagne, en France ou en Grèce (au moins volontairement)– que la campagne du référendum a mis en lumière, voire créé, des divisions dont la profondeur émotionnelle a été une surprise et une source d’inquiétude. L’assassinat de la députée travailliste Jo Cox, même aux mains d’un individu mentalement perturbé, constitue un avertissement tragique sur le degré de la polémique née de la campagne, et dont les deux camps portent la responsabilité.

Ce débat a transcendé les divisions habituelles entre conservateurs, travaillistes et libéraux-démocrates. Le Brexit avait ainsi des partisans de gauche (qui détestent l’UE pour son manque de démocratie et l’austérité budgétaire qu’elle impose) et le maintien aussi (qui apprécient son internationalisme); il y avait aussi des partisans de droite du maintien (qui considèrent l’UE comme un immense marché) et des partisans de droite de la sortie (qui considèrent l’UE comme un affront à la souveraineté nationale). Il y avait également une dimension nationale: les principaux partisans du Brexit étaient les Anglais, et puis soudainement les Gallois; les Ecossais et Irlandais, pour différentes raisons, avaient une vision opposée.

La campagne a également mis en lumière les différences entre les générations, les régions et surtout, et de manière plus profonde, entre les classes et les cultures. Les partisans du maintien étaient, dans des proportions écrasantes, issus des classes moyennes jeunes et éduquées, qui voyaient dans l’Europe leur propre intérêt et comme quelque chose de rassurant et allant de soi. Les partisans du Brexit étaient majoritairement plus âgés, moins éduqués, moins riches et pensaient qu’ils avaient plus de chance de pouvoir se faire entendre dans un État national autonome. L’attitude de l’UE à l’égard de l’immigration –non contrôlée et s’élevant à près de 200.000 personnes par an– est devenue le point de fixation du débat. Les partisans du maintien la considéraient comme un gage d’ouverture, de liberté économique et de cosmopolitisme. La campagne de la «sortie» la présentait comme responsable de la chute des salaires, de l’asphyxie des services publics et comme une menace à l’identité nationale sur le long terme. La question de l’EU s’est donc bien davantage polarisée politiquement que partout ailleurs en Europe.

L’establishment politique et culturel était, de manière écrasante, favorable à l’UE. Il a pourtant réalisé, non sans un certain sentiment d’horreur, qu’une bonne partie du pays avait tout simplement cessé de croire en lui, voire de l’écouter. Évêques, banquiers, universitaires, politiciens, hommes d’affaires, célébrités du show-business et hommes d’État étranger ont constaté avec stupeur que leurs exhortations –qui ressemblaient de plus en plus à des menaces– étaient ignorées tandis que le soutien au Brexit ne cessait de croitre dans les sondages d’opinion. Le vote final a confirmé un euroscepticisme très ancré en Grande-Bretagne, galvanisé par une impatience à l’égard de la classe politique dans son ensemble, comme nous pouvons le constater à peu près partout dans le monde démocratique.

Comment les électeurs interprètent leur histoire

Cela n’est pas la première fois que la politique britannique est dominée par ses relations avec l’Europe. Les Tories du XVIIIe siècle, ancêtres des Brexiters d’aujourd’hui, avaient fini écartés de leurs sièges ou bien dans des cachots de la Tour de Londres. Le chancelier Thomas More, saint-patron idéal du camp du maintien (il avait désapprouvé la rupture d’Henri VIII avec le reste de l’Europe) fut décapité en 1535. Il y eut des terribles oppositions entre pacifistes et partisans du réarmement dans les années 1930. En comparaison, les problèmes du jour –pour terribles qu’ils paraissent– sont bien moins compliqués et bien moins dangereux. Surtout, ils font écho au débat récurrent entre les protectionnistes et les partisans du libre-échange des années 1840 et 1900, quand la question était de savoir s’il fallait protéger les biens produits ou obtenir les produits d’importation au plus bas prix. Dans les deux cas, le parti conservateur fut divisé et fut ensuite battu aux élection car comme aujourd’hui, les émotions suscitées par le débat furent assez importantes pour diviser le parti et remettre en cause le soutien de sa base. Aujourd’hui, les dirigeants conservateurs, le Premier ministre David Cameron et le chancelier George Osborne ont tenté d’éviter le Brexit alors que la plupart de leurs partisans y étaient favorables, et David Cameron a immédiatement annoncé qu’il allait démissionner.

Les partis d’opposition bénéficient généralement des divisions du parti au pouvoir, mais le parti travailliste a fait mollement campagne pour le maintien et les libéraux-démocrates ont été invisibles. Surtout, les députés travaillistes se sont inquiété de constater à quel point de très nombreux militants travaillistes étaient favorables au Brexit, contrairement à la ligne du parti. Qui peut donc en tirer bénéfice sur le plan politique? Qui peut rallier assez de soutien populaire pour gouverner à Westminster? Les effets du Brexit au sein du Royaume-Uni sont tout aussi imprévisibles: les choix différents des nations britanniques menacent la cohésion du pays et en Ecosse comme en Irlande du Nord, des élus évoquent déjà un départ du Royaume-Uni.

Pour résumer, cette campagne a porté des coups sévères à la classe politique britannique et, à l’inverse du dernier référendum sur l’adhésion à l’UE en 1975, elle ne risque guère de ramener le calme et la réconciliation. Son impact, sur le cours comme sur le long terme, sur le système politique britannique est impossible à prédire. Les électeurs ont été contraints de dire qui ils étaient vraiment, comment ils interprétaient leur histoire, comment ils voyaient leur futur et en qui ils avaient confiance. Ils ont offert des réponses fondamentalement contradictoires. Ils ont réaffirmé la souveraineté populaire, mais la signification pratique de cette affirmation ne sera pas connue avant plusieurs mois. Les électeurs ayant voté pour la sortie espèrent naturellement que leur futur sera meilleur. Le parti vaincu du maintien, qui se percevait comment l’incarnation de la modernité, du progrès et de l’ouverture, va sans doute se désoler de ce nouveau rejet d’un pays, leur pays, qu’ils tiennent pour incorrigiblement réactionnaire. Il risque fort de considérer tous les problèmes politiques, économiques et diplomatiques à venir comme des conséquences du Brexit. Qu’il s’oppose ou pas à la sortie véritable de la Grande-Bretagne de l’UE, il est difficile d’imaginer le voir travailler avec enthousiasme à un Brexit réussi, ou de le voir contribuer à la renaissance politique, économique et culturelle britanniques dont rêvent certains partisans du Brexit.

Ceux d’entre nous qui souffrent d’une forme d’euro-fatigue ne peuvent qu’espérer que le reste du pays en souffre autant et qu’une période de calme et de réconciliation va s’ensuivre. Une attitude un peu trop suffisante. Car derrière la façade traditionnelle de leur vie politique, les Britanniques sont traversés par des divisions de classe, culturelles, historiques et d’allégeance. Elles sont généralement glissées sous le tapis ou relativement contrôlées par une forme de civilité politique et par une forte dose d’apathie de l’opinion publique. Mais pour l’instant, hélas, les couteaux sont tirés.

Robert Tombs

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