Appel à la mobilisation ! Le vice-amiral Arnaud Coustillière, officier général en charge de la « cyberdéfense » auprès de l'État-major des armées, lance, ce lundi, une grande campagne de sensibilisation auprès des étudiants en informatique français. Il leur propose de rejoindre les bataillons de la réserve opérationnelle et de contribuer ainsi au renforcement de la protection des sites stratégiques hexagonaux dans le cyberespace. Comme l'avait annoncé, au dernier Forum international de la cybercriminalité, Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État en charge des Anciens Combattants, l'armée prévoit d'enrôler quelque 4 300 réservistes « cyber » d'ici à 2019.
L'annonce de la création de ce bataillon pas comme les autres sera faite le 2 mai après-midi, dans le grand amphithéâtre de l'École militaire, devant un parterre d'élèves d'écoles d'ingénieurs. Arnaud Coustillière, 55 ans, chapeaute depuis 2011 les unités spécialisées dans la cyberguerre qui ont été créées dans tous les régiments de transmission. Mais pas seulement !
Les militaires français ont développé depuis cinq ans plusieurs unités spécialisées dans la défense des systèmes d'information d'importance vitale pour notre pays. La cyberréserve, constituée d'experts en informatique, doit permettre d'appuyer ces unités. Officiellement ces réservistes seront chargés de simples missions d'information et de conseil auprès de leurs concitoyens.
Mais, selon plusieurs sources, certains de ces réservistes, triés sur le volet, seraient mobilisables en cas d'attaques numériques conduites par des hackers hostiles à laFrance : qu'il s'agisse de cyberdjihadistes, de groupes criminels, de pirates informatiques « mercenaires » ou de forces armées opérant sur la Toile pour le compte de puissances étrangères.
Toutes armes confondues, la France compte aujourd'hui un peu plus de 50 000 réservistes. Ces volontaires, qu'ils soient issus de la société civile (avec ou sans expérience militaire) ou qu'ils aient été militaires d'active, ont signé un engagement à servir dans la réserve (ESR) d'une durée de un à cinq ans. Ces hommes et ces femmes ont reçu une formation et un entraînement spécifiques afin d'apporter un renfort temporaire de quelques dizaines de jours par an aux forces armées.
« Les unités de cyberdéfense en cours de déploiement ont besoin, elles aussi, d'un soutien de la nation », confie une source militaire pour justifier la création de cette nouvelle cyberréserve. Pour faire face à la multiplication des attaques contre les intérêts français sur Internet, une première brigade spécialisée dans le numérique avait été créée il y a deux ans. Elle compte 150 personnes. « Essentiellement des chercheurs et des enseignants qui cherchent à sensibiliser leurs élèves aux enjeux », note Joël Courtois, directeur de l'École pour l'informatique et les techniques avancées (Épita), qui en fait partie.
L'Épita, créée en 1984 et qui est reconnue comme école d'ingénieur depuis 2007, compte 7 000 anciens élèves et a fourni des contingents importants d'informaticiens auprès du ministère de la Défense. « Disons que nous avons apporté notre pierre à l'édifice », évacue avec modestie Joël Courtois. Ce mathématicien, passé de l'électronique "sensible", notamment chez Matra, à l'informatique au milieu des années 90, a cependant joué les aiguillons auprès de l'amiral Coustillère... "Il vient chaque année présenter les débouchés offerts par l'armée à nos promotions (qui passeront prochainement de 150 à 400 élèves, NDLR), nous avons un bon contact", énonce M. Courtois.
« La protection des systèmes d'information inclut une défense active en profondeur de l'ensemble des systèmes et une capacité de gestion des crises cybernétique. Dans le cyberespace, les technologies civiles et militaires sont similaires, les réseaux sont souvent interconnectés. L'environnement, les techniques et les pratiques évoluent très vite. Il convient donc d'entretenir une connaissance permanente du domaine, d'échanger avec nos partenaires, militaires comme civils, afin d'identifier nos forces et nos faiblesses et de nous préparer, notamment par des travaux de planification et l'adoption d'une posture adaptée à la menace », présente une source ministérielle pour expliquer ce qui a motivé le ministère de la Défense à se tourner vers le monde étudiant.
Si la région parisienne est plutôt bien dotée en moyens de défense « numérique », il n'en va pas de même de toutes les régions. Le but de cette cyberréserve est donc aussi de permettre progressivement son développement en province. Elle se concentrera, dans un premier temps, sur des opérations de prévention des « cyberrisques » auprès du tissu de PME-PMI, participant de près ou de loin à la Défense ou à une activité industrielle liée à l'armement. Les réservistes de cette cyberréserve travailleront ainsi en réseau avec la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) et la Direction générale de l'armement (DGA) déjà très actifs dans ce domaine.
Mais les étudiants seront-ils tentés de servir sous le drapeau, et cela gratuitement ? Pour Marie Moin, directrice de SecureSphere, un l'institut de formation continue, rattaché à Épita, cela ne fait pas de doute. « Je suis certaine que de très nombreux élèves ingénieurs seront intéressés par cette expérience, même bénévole. Car on sent chez nos jeunes un besoin de donner du sens à leur existence », témoigne-t-elle. « Cela fera une ligne de plus sur leur CV », ajoute Joël Courtois. Pour l'heure, plus de 800 personnes se sont d'ores et déjà inscrites à la page Facebook de cette « cyberréserve » dont l'emblème comporte un aigle encadré d'éclairs. Comme le fanion de l' United States Cyber Command (USCYBERCOM), entité américaine "jumelle" de la NSA, qui compte un peu plus de 1200 militaires dans le Maryland.